En attendant

Superstition

A chacune de mes grossesses, quelqu'un que je connaissais est mort. Et là aussi cynique, cruel, taré que ça puisse paraitre, j'attends, je guette, je stresse.

Quans j'étais enceinte de mon ainé, c'est Seb qui est parti. Il s'est fait renversé par un camion presque sous mes fenetres. Seb était pas vraiment un copain, juste un mec que je connaissais depuis le collège, que je croisais de temps en temps,vu qu'il était assez pote avec mon frère. Pas longtemps avant, on avait appris que c'est lui qui avait volé notre auto radio. Je l'avais maudit, j'étais dégoutée de cette petite trahison... Quand j'ai appris qu'il était mort, ça m'a fait bizarre, parce que pleins de souvenirs me sont revenus, mais bizarrement, pas l'autoradio...C'était un mec qui avait mal tourné, comme j'en connais beaucoup. Surement pas quelqu'un de mauvais au fond, juste un mec que la vie a un peu malmené, peut être influençable aussi. Enfin bon, là n'est pas la question, mourrir à 23 ans, c'est naze...

Quand j'étais enceinte de mon second, c'est Diego qui est mort. Là, ca m'a collé mal au bide, faillit perdre le bébé qui était déjà en mauvais posture. Diego, c'était le meilleur ami de mon frère. On a fréquenté la même maternelle, primaire collège, malgré nos déménagements. En gros il a toujours habité à deux pas de chez nous, alors que nos parents ne se connaissaient pas. Diego avait mal tourné aussi ( enfin comme tous les potes de mon frère finalement et comme mon frère aussi , d'ailleurs ). Son père est mort quand il avait 9 ou 10 ans, je me souviens bien de ce jour. Sa mère, elle adorait ses fils mais..je sais pas, trop laxiste peut être ? ou non, plutot, justement, elle les aimait trop, elle leur trouvait des excuses à tout. alors ça a été les premiers joins en sixième, les premières conneries pas dramatiques, et puis un engrenage de gosses un peu paumés qui s'entrainent les uns des autres. Diego, contrairement à son frère et à des tas d'autres, il a pas su ou pu s'arreter. L'escalade dans les drogues et dans les conneries pour avoir le fric.Et le doc du patelin , compatissant, qui lui filait des ordonnances pour qu'ils se procurent de quoi décoller de la terre. Il voulait pas se prendre la tête le doc, alors il signait les ordonnances, pour avoir la paix. Après, je ne sais pas trop ce qu'il s'est passé. J'étais partie de chez mes parents, j'avais de rares nouvelles de Diego par mon frère, qui s'enfonçait lui aussi. Et puis ce matin là, mon frère est arrivé, c'était un dimanche, j'étais au téléphone avec ma meilleure amie, j'ai pas raccorché de suite. Je regardais mon frère tourner en rond dans la cuisine, je voyais que quelque chose n'allait pas... mais comme souvent, il etait toujours entrainé dans des galères pas possibles. J'ai raccroché qu'au bout de 20 minutes, quand j'ai vu le regard de mon frère. Désespéré. J'ai rien eu le temps de dire, il m'a lancé "Diego est mort". Il m'a laissé le temps d'encaisser, puis il a continué "il était à l'HP, il s'est pendu avec ses lacets, ils les avaient accroché au radiateur". J'ai rien dit, je pouvais pas, je sentais juste mon ventre se durcir, et je regardais mon frère, comme fou, en train de perdre les pédales. Il a ajouté "je suis qu'un connard, je savais qu'il allait mal, j'étais son meilleur ami, et pourtant ça fait deux mois que je l'évitais", puis il est parti, en voyant mes larmes couler.S'en est suivit deux mois de luttes pour ne pas perdre le bébé, pour essayer de repecher mon frère, bouffé par la culpabilité. Mon fils , en super bonne santé, ressemble beaucoup à mon frère... et physiquement et au niveau du caractère. Ca me fait peur. Il a ce coté écorché vif...j'ai l'impression parfois qu'il est impregné de ce que j'ai ressenti quand lui se démenait dans mon ventre...

Et puis, ma dernière grossesse (avant celle ci)...une sorte de fiasco, de loi des séries à la noix. Ma grand mère est morte. J'avais pas beaucoup de relation avec elle.. mauvaise entente familiale, j'en avais entenu que du mal depuis toute petite. Mais c'était ma mémé. J'ai accompagné mon père à l'enterrement, malgré l'interdiction du doc. Parce que ma mère voulait pas y aller ( merci maman, t'etais plus à ca près, mais bon..), ma grande soeur encore moins, ma petite soeur avait cours ( oui, il y en a qui font mourrir leur grand mere 100 fois pour secher les cours, ma soeur elle, pour la seule et unique fois, ne rate pas les cours) et mon frère ben..il a dit qu'il pouvait pas rater le travail, moi je pense qu'il en avait pas le courage. Il adorait ma grand mère, il a toujours été écartelé entre les médisances familiales et ce qu'il ressentait pour elle. Donc il voulait pas y aller. Et pour mon père, par respect pour lui, je ne pouvais pas le laisser y aller seul, devant ses frères qui seraient tous là en famille, pas le laisser affronter ce dernier adieu seul avec lui même. Alors j'y suis allée, j'ai fait la connaissance de certains de mes oncles, j'ai aidé mon père a répondre au 'ben ta femme n'est pas là ?", et je suis restée à coté de lui, main dans la main à l'église. Il m'a vue essuyer mes larmes, je pense que quelque part, ca lui a fait du bien de voir qu'au moins un de ses enfants aimaient au moins un peu sa mère. Et à la sortie de l'église, il s'est effondré, c'etait la première fois que je voyais mon père pleurer. Ca, ca m'a fait mal, et j'ai maudit ma mère de pas être a coté de son mari à ma place. 2 mois après, un de mes cousins se suicidait, je l'ai appris par texto de ma petite soeur, qui savait surement pas comment me le dire, enfin elle est pas à blamer pour la forme, et pour le fond, ben si elle me l'avait pas dit, personne ne l'aurait fait, pas même ma mère qui le savait déjà depuis l'avant veille. Alors j'ai pleuré toute seule sur mon portable, pour mon cousin, pour ma grand mère, pour Diego et pour tous les autres que je vois tomber un à un depuis longtemps. Bébé est né, et depuis, il ne se détache pas de moi, ne reste pas cinq minutes sans se manifester d'une manière ou d'une autre, la nuit comme le jour, un peu comme si , il voulait me rappeler 'mais nous, on est en vie".

Et là, ben, 4 mois passé de grossesse, et j'angoisse, même si je devrais pas. Même ma petite soeur en apprenant que j'étais enceinte a pas pu s'empecher de me dire " oh va y avoir des morts" ( pas très fin quand j'y pense, mais bon, pas de langue de bois entre nous ).Ca me rend folle, j'y pense souvent, et à chaque fois les souvenirs remontent, et à chaque fois on me dit "pense au bébé".. oui , c'est vrai, et j'y pense au bébé, mais je pense aussi qu'à tous ces moments pénibles, je me suis sentie très seule, que j'avais personne pour m"épauler alors que moi j'épaulais les autres, que tout le monde s'inquietait pour mes bébés ( et moi aussi), mais personne se demandait comme je me sentais moi, à l'interieur. Et je suis pas sure, que si malheur il devait y avoir encore une fois, je serai à la hauteur, pour mes proches, pour mes enfants, pour le bébé.

Ecrit par Ernestine, le Lundi 19 Juillet 2004, 02:06 dans la rubrique "1001 pensées".

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